L’histoire
Plus qu'un roman, À quoi rêvent les loups est un document saisissant sur la manière dont un individu ordinaire est conduit, alors que rien ne semblait l'y prédisposer, à plonger du jour au lendemain dans la plus complète barbarie. C’est l’histoire d’un itinéraire insensé, et pourtant presque banal, aujourd'hui. À la fin des années 80. Nafa Walid est un jeune Algérois d'origine très modeste qui rêve d'une improbable carrière d'acteur. En attendant la gloire, il devient chauffeur de l'une des plus prestigieuses familles d'Alger. Pour ces gens riches au- delà de l'imaginable, les lois communes ne s'appliquent pas. Une nuit, on lui donne l'ordre de faire disparaître le cadavre d'une adolescente morte d'une overdose dans le lit du fils de la maison. Terrorisé, Nafa obéit mais cette nuit d'horreur le fait tomber dans un mécanisme qui va le broyer et le conduire, quelques années de cauchemar plus tard, à égorger un bébé. Parce que des hommes totalement corrompus l'ont humilié et lui ont fait perdre le respect de lui-même. Parce que les islamistes qui recrutaient à tour de bras dans cet énorme réservoir de jeunes gens vulnérables ont su l'accueillir et lui donner le sentiment que sa vie pouvait avoir un sens, ont su jouer sur tous les ressorts de sa virilité et l'ont convaincu de céder à la tentation de la violence. Parce que la confusion mentale dans laquelle il était plongé l'a conduit à s'opposer à ses parents, à ses amis et à perdre tous ses repères. Parce que la guerre civile qui a opposé les militaires algériens et les bandes armées islamistes a été d'une violence et d'une sauvagerie incroyables, l'abominable est devenu concevable et il l'a commis.
Critique du livre
« C’est un livre effrayant, d'autant plus effrayant qu'on a l'impression que l'auteur n'a pas eu à inventer grand chose. D'autant plus effrayant que l'on comprend, à défaut d'adhérer, le glissement inexorable du "héros" vers la folie et la barbarie. Toute la force de Khadra est là, nous faire accepter, le temps de la lecture, ce cheminement, et de nous montrer comment le manque de valeurs et de culture, allié au manque d'espoir amène à l'horreur. Jean-Marc Laherrere www.mauvaisgenres.com.
Commentaires de l'auteur sur le livre
« Dans mon pays, un système avarié a confisqué l’ensemble des rêves de notre jeunesse pour ne lui laisser que les méandres du cauchemar. Résultat : l’intégrisme. »
Note d’intention
Les thèmes développés nous renvoient à ce phénomène d’actualité : ces adolescents tentés par l'aventure fanatique. Si les sociétés européennes d’aujourd’hui ne peuvent en aucun cas être comparées à l’Algérie des années 80, elles peuvent néanmoins faire naître de forts ressentiments. Une certaine jeunesse se sent tellement oubliée. Ce roman noir me parait hautement pédagogique. En montrant les rouages, les pièges, et l’aspect destructeur, par delà la fascination, ce texte provoque un sursaut d’espérance, de courage, de résistance constructive magnifiquement incarné par le poète. Le livre fait 280 pages. L’adaptation en fait 50. Mon fil conducteur a été de tout centrer autour du personnage de Nafa Walid et du processus intérieur qui le fait basculer progressivement dans la folie. J’ai gardé uniquement les personnages qui font avancer inéluctablement l’action, concourant soit à essayer de l’aider, soit à tenter de le perdre. Des archives historiques sonores ont été rajoutées afin de situer les évènements. Je me suis appliquée à mettre en relief les questions sous-jacentes : pourquoi n’accepte-t-il jamais les mains qui se tendent pour l'aider ? Comment peut s'exprimer la révolte, la recherche d’idéaux dans des sociétés, gangrénées par la misère et la corruption ? J’ai voulu, autour de ce texte, réunir des acteurs européens et arabes pour donner une portée universelle au propos, ainsi qu’un jeune musicien algérien de musique traditionnelle. Wassim Elkassantini est aussi virtuose dans le malouf constantinois que dans les chants religieux.
Le contexte historique
En octobre 1988, des émeutes éclatent à Alger et s’étendent à toute l'Algérie. Les jeunes descendent dans la rue dans toutes les villes du pays sous un ras-le-bol généralisé. Ces enfants, les mains nues, décident de changer le cours de l’Histoire en exprimant bien haut toute leur colère à des dirigeants sourds aux souffrances de tout un peuple en mal d’être et en mal de vivre. Plus rien ne se passera plus « comme avant octobre 1988 ». De l'hiver 88 à l'hiver 91, l'Algérie va vivre son « printemps », un printemps marqué par les intrigues de l'oligarchie militaire, l'incapacité des mouvements d'opposition à se rassembler autour d'une vision commune de l'État et de la démocratie, et la montée en flèche d'un islamisme radical qui obtient 47,54% des suffrages exprimés aux élections législatives. Le choc est énorme. Le président Chadli Bendjedid démissionne. Le compte à rebours qui va mener l'Algérie à la crise a commencé. L'armée et le DRS désormais reprennent les choses en main. Arrestations en masse de militants islamistes qui sont emprisonnés dans les camps d'internement dans le Sud algérien, procès et condamnations se succèdent. La crise se prolongera par l'engrenage de la violence (1992-2002) sous le nom de la « décennie noire » qui fera plus de cent mille morts.
Note de scénographie
Les trois parties (Le Grand-Alger, La Casbah, et L’Abîme) se réfèrent à trois espaces différents, relèvent chacun d’une étape de l’Histoire de l’Algérie, en rapport direct avec la date d’Octobre 88 et évoluent graduellement dans le cauchemar. La scénographie suivra ces trois espaces et cette évolution. Des panneaux ajourés viendront créer une atmosphère où les ombres et les lumières joueront fortement. Des éléments légers se rajouteront suggérant le luxe du Grand-Alger, la misère de la Casbah jusqu’au dénuement total des maquis. Sur un écran, au fond du plateau, seront projetées des photos de Michael Von Graffenried. Elles font partie des rares images de la vie du peuple algérien dans les années 90.
L’univers sonore
La musique aura une importance fondamentale. Deux musiciens seront sur scène. Leur musique, du malouf (voix, violon, guitare) synonyme de joie, liberté et d’harmonie, s’assombrira peu à peu. Un autre univers âpre, violent, composé de bruits de foule, de loups, de cris (archives sonores de 1988) envahira l’espace progressivement. La musique harmonieuse, belle, profonde, se fera lointaine, mais jamais ne disparaîtra. Un des musiciens interprètera le rôle du poète Sid Ali, symbole magnifique de résistance qui ne fuira pas devant les islamistes mais demandera à être immolé « pour mettre un peu de lumière dans leur nuit ». Dans une telle tragédie, la musique nous dit ce que les mots ne peuvent pas toujours exprimer.
Forme du spectacle
Durée du spectacle : 2 heures. 6 comédiens (4 comédiens et 2 comédiennes) pour interpréter tous les personnages au nombre de 15 et 1 à 2 musiciens.
Yasmina Khadra : auteur
Yasmina Khadra s'appelle de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, fut Officier dans l'armée algérienne, il a participé à la guerre contre le terrorisme. Il a quitté l'institution en 2000, pour se consacrer à sa vocation: écrire. Il choisit de le faire en français. Mohammed Moulessehoul a obtenu plusieurs prix littéraires, parmi lesquels celui du Fonds international pour la promotion de la culture (de l'UNESCO) en 1993. Pour échapper au Comité de censure militaire, institué en 1988, il opte pour la clandestinité et publie son roman Le Dingue au bistouri, le premier dans la série des « Commissaire Llob ». Il écrit pendant onze ans sous différents pseudonymes et collabore à plusieurs journaux algériens et étrangers pour défendre les écrivains algériens. En 1997 parait en France, Morituri qui le révèle au grand public. Il opte définitivement pour le pseudonyme Yasmina Khadra, qui sont les deux prénoms de son épouse. « En portant ses prénoms comme des lauriers, c'est ma façon de lui rester redevable. Sans elle, j'aurais abandonné. Dans un monde aussi conservateur que le monde arabo-musulman, porter un pseudonyme féminin, pour un homme, est une véritable révolution ». Yasmina Khadra a touché plusieurs millions de lecteurs dans le monde. Adaptés au cinéma, au théâtre, en bande dessinée, en chorégraphie, ses romans sont traduits dans 42 langues et édités dans plusieurs pays dont l'Albanie, Algérie, Allemagne, Autriche, Brésil, Bulgarie, Corée, Croatie, Danemark, Émirats arabes unis, Estonie, États- Unis, Finlande, Grande-Bretagne, Grèce, Espagne (castillan et catalan), Hongrie, Inde, Indonésie, Iran, Islande, Italie, Israël, Japon, Liban, Lituanie, Macédoine, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Serbie, Slovénie, Suède, Suisse, Taïwan, République tchèque, Turquie, Vietnam.
Michael Von Graffenried : photographe
Michaael von Graffenried est le directeur artistique de SEPT.info. Issu du photojournalisme, il se consacre aujourd’hui à des projets en utilisant différents supports médiatiques. En 2002, le film documentaire Guerre sans images – Algérie, je sais que tu sais, co-réalisé avec Mohammed Soudani, a été présenté au Festival du Film de Locarno. Ses images sont exposées dans des galeries et musées en France, en Suisse, ainsi qu’à New York, Alger, Hong Kong, Beyrouth. Il a publié plusieurs ouvrages : Soudan, une guerre oubliée (1995), Nus au Paradis (1997), Algérie, Photographies d’une guerre sans images (1998), Cocainelove (2005), Eye on Africa (2009) ou Bierfest (Steidl 2014).
Jeanne-Marie Garcia : comédienne et metteur en scène
Formée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, elle a joué dans des spectacles de Philippe Adrien, Pauline Bureau, Laurent Laffargue, Brigitte Jacques, Valérie Antonievich, Vaouda Campos, Loic Pichon, Madeleine Marion, Pierre Vial, Régine Achille-Fould, Alain Paris, Benoit Lepecq, Michel Allemandou, Yorjos Petrugnias, Jacques-Albert Canques, Raymond Baillet, Jean-Claude Amyl, Gérard Laurent, Viviane Théophilidès, Gilles Glaises. Elle a mis en scène en 2010 L’Analphabète d’Agota Kristof, spectacle joué dans les cités de Seine-Saint-Denis, en 2013 Assassines, joué au Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie. Elle a animé pendant 15 ans à la CIMADE ( organisme d’aide aux réfugiés politiques) de nombreux ateliers auprès de migrants au Théâtre Trévise. Elle est en poste au CND de Meudon depuis 2012.
Wassim Elkassantini : musicien
Wassim Elkassantini a été initié très tôt à la musique arabe andalouse. À14 ans qu’il apprend à jouer du violon avec le violoniste BENKLOUIET. Il rencontre le grand maître du Malouf, ABDELMOUMEN BENTOBAL puis EL Hadj MOHAMED TAHAR FERGANI, l’icône incontestable de la musique Malouf, qu’il va accompagner en intégrant son orchestre. Outre l’Algérie, il se produira, avec El Hadj MOHAMED TAHAR FERGANI, en Egypte, en Syrie, en Jordanie, au Maroc, en Tunisie, en Espagne, en Suisse et en Allemagne. Il obtient en 1998 le premier prix du conservatoire de la ville de CONSTANTINE. Il intègre, la même année, l’Institut de Musique de BATNA en violon alto et violoncelle. Il crée, en 2005, une école de musique traditionnelle qui va participer à perpétuer cet art majeur en le relayant auprès des générations montantes. Aujourd’hui, il travaille à la réalisation d’albums qui vont cristalliser le fruit de ses recherches et agrémenter la musique Malouf en l’enrichissant des rencontres de l’artiste avec les musiques du monde. Il sera accompagné d’un guitariste.
Valérie Antonjevich : metteur en scène et comédienne
Suite à sa formation de comédienne, Valérie Antonijevich se tourne vite vers la mise en scène et se forme avec Leonid Kheiffets et Valery Ribakov (Gitis).Elle oriente sa recherche dramaturgique autour de la composition de spectacles à partir d'une matière non théâtrale : poèmes, récits, témoignages, archives...et autour d'écritures contemporaines. L’invitation au voyage est un spectacle conçu à partir de poèmes de Rimbaud, Michaud, Segalen, Kerouac... Lucia y Dolores est une grande fresque sur l’Andalousie à partir de textes d’Hemingway, Picasso...Je persiste et signe je m’appelle Jacques Brel est un conte conçu à partir de l’œuvre du chanteur. Elle monte Aztèques de Michel Azama, Qui est le véritable inspecteur Hound ? de Tom Stoppard, Les aveux de la dernière chance de David Caraty, Nuits d’amour éphémère de Paloma Pedrero. Elle continue son travail d'écriture scénique à partir d'archives pour explorer «Histoire et histoires, liens intimes» avec Vanves 1914-1918 , construction fragmentaire sur la vie des femmes pendant la grande guerre et avec Mon cœur caresse un espoir portrait morcelé des français pendant les années d'occupation (40-44).
Jean Leloup : comédien
Il a été formé I.N.S.A.S. (école internationale de jeu à Bruxelles 1992-94). Au cinéma, il a travaillé avec Andrea Martinez Crowther, Javier Fesser, Alain Berbérian, Dominique Tabuteau, Angelo Guacci, Gabriel de Monteynard. Au théâtre, il a travaillé avec Boris Azemar, Alvaro Bergareche, Gaël Albespy, Jean-François Regnard, Catherine Lahaye, Christian Bordeleau, Denis Souppe, A-M. Mestre-Alaïmo, Tilly Parker , Oscar Sisto, Jean Martinez. Il a fait de multiples mises en scène notamment Théatre du Tambour Royal àParis, au Lucernaire, au new Jewish Museum à Berlin, au Grand Lavoir Graal à Paris, au Cameroun, au Congo, Théâtre National de Brazzaville.
Noémie Bianco : comédienne
Formée l’école du studio d ‘Anière, elle a joué ensuite dans des mises en scènes de Lucy Harrison, Alix F. Pittaluga, Jean-Marc Avocat, Yveline Hamon, Karim Demnatt, Karim Demnatt, Daniel Mirabeau, Claudia Stavisky, André Sanfratello, Salvadorra Parras, Antoine Descanvelle, J-Paul Lucet. Au cinéma, elle a tourné sous la direction de Jean-Pierre Ameris. À la télévision, elle a tourné sous la direction de Olivier Barma et Fabrice Cazeneuve.
Étienne Rattier : comédien
Après des études au Conservatoire National de Région de Bordeaux et au Conservatoire d’Aix en Provence, il joue sous la direction de Dominique Tirone-Fernandez, Madeleine Marion, Mireille Abadie, Nicolas Soloy, François Dubos, Claude Bonin, Olivier Cohen, Bernard Jung, Gabriel, Chame Buendia, Robert Hossein, Jeanne-Marie Garcia, Daniel Amar Gérard Laurent, Raymond Paquet, Jacques- Albert Canques. Il dirige la Compagnie de l’Instant. Il a joué et mis en scène récemment Dialogue entre un prêtre et un mauribodn de Sade, repris au Théâtre de l’Épée de Bois en novembre 2015.
Extraits de l’adaptation ( prologue )
Voix de Nafa : Pourquoi l'archange Gabriel n'a-t-il retenu mon bras lorsque je m'apprêtais à trancher la gorge de ce bébé brûlant de fièvre? Pourtant, de toutes mes forces, j'ai cru que jamais ma lame n'oserait effleurer ce cou frêle, à peine plus gros qu’un poignet de mioche. La pluie menaçait d'engloutir la terre entière, ce soir-là. Le ciel fulminait. Longtemps, j'ai attendu que le tonnerre détourne ma main, qu'un éclair me délivre des ténèbres qui me retenaient captif de leurs perditions, moi qui étais persuadé d'être venu au monde pour plaire et séduire, qui rêvais de conquérir les coeurs par la seule grâce de mon talent.
Alger, six heures du matin, dans un immeuble évacué, deux hommes retranchés.
Nafa: Les prophètes nous lâchés. Nous sommes faits comme des rats!
Abou : Si tu voyais ta gueule, on dirait un ramoneur coincé dans une cheminée. Nafa : Ménage-toi !
Abou Tourab : C’est vrai, c’est un long voyage qui nous attend. J’ai les tripes en l’air et je ne ressens rien.....Bruit d’un engin chenillé qui fait vibrer les murs. Ils ramènent la grosse artillerie. Crois-tu que l’on se souviendra de nous ?
Nafa : Et comment !
Abou Tourab : On ne nous oubliera jamais ! Il y aura nos noms dans les manuels, et sur les monuments. Les scouts chanteront nos louanges au fond des bois. Les jours de fêtes, on déposera des gerbes sur nos tombes. Et pendant ce temps, que feront les glorieux martyrs? Nous paissons tranquillement dans les jardins éternels.
Nafa : Ne blasphème pas !
Abou : Là-haut, nous n’aurons qu’à claquer nos doigts pour voir nos voeux exaucés. « ... »Ne t’approche pas trop près de la fenêtre, émir « ..... »Il en avait là-dedans, Sid Ali, c’était un vrai poète... Je le prenais pour un attardé, et, au moment de la vérité, il te sort d’on ne sait où un courage à te couper en deux. Tu te rappelles?
Nafa : Je n’étais pas là.
Abou : Il a refusé de se mettre à genoux. Il n’a même pas frémi lorsque je lui ai enfoncé mon flingue dans la tempe. Vas-y, qu’il a dit, je suis prêt. Sa tête a pété comme un énorme furoncle. Et ça n’a pas entamé d’un millimètre son putain de sourire.
Nafa : Tu vas la fermer, bordel !
Abou Tourab : En Afghanistan, ça se passait autrement. À chaque fois que les Moudjahidin étaient pris au piège, des tempêtes de sable se déchaînaient pour couvrir leur retraite, des pannes mystérieuses immobilisaient les tanks ennemis et des nuées d’oiseaux s’attaquaient aux hélicoptères soviétiques...Pourquoi on a pas le droit au miracle, chez nous ?
Aboud Tourab met son pistolet à sa tempe. Il sourit.
Abou Tourab : Je passe devant toi, chef. Sait-on jamais....
La détonation emporte son crâne. Fusillade.